Affaire contrat YAO CORP : le Congo risque de rater le rendez-vous du numérique

La concession du réseau fibre optique aérien à Yao Corp S.A met en lumière l’échec et le sabotage du Programme de Couverture Nationale ( backbone national) dans lequel l’État congolais a englouti près de 100 milliards FCFA, ainsi que l’absence d’une politique volontariste et audacieuse en matière de télécommunications, avec l’aide des experts du secteur.
Au-delà d’un simple contrat accordé à une société privée, sans référence aucune en la matière, qui ne pourra pas affronter les grands défis internationaux auxquels Brazzaville doit faire face dans un environnement sous-régional et international qui s’annonce très concurrentiel, c’est l’avenir de l’économie numérique au Congo qui risque d’être compromis. Sur les circonstances et les conséquences de ce méli-mélo, nous avons enquêté pour démêler les fils de cet écheveau digne d’un drame auquel s’expose la révolution numérique au Congo Brazzaville.
Y a-t-il une stratégie en matière télécommunications au Congo, au moment où la Rdc, l’Angola, le Gabon et le Cameroun, sont en avance pour se préparer à l’envahissement de la fibre optique Facebook et Google? Les différents ministres des Postes et télécommunications qui se sont succédé, sont-ils suffisamment renseignés sur ces énormes enjeux? N’est-il pas, enfin, temps de rectifier le tir? Une valse de questions suscitées par l’absence d’une vision stratégique de la tutelle pour révolutionner le secteur. Incompétence ou laxisme sur fond de prébendes?
Les 150 millions d’euros, soit un peu plus 97 de milliards FCFA, investis par le gouvernement dans le cadre du Programme de Couverture Nationale(PCN) n’ont pas permis de construire un réseau performant.
En l’absence d’un audit financier et technique, il est difficile d’en établir les responsabilités individuelles de l’échec de la construction de ce PCN. Conséquence, la fibre optique terrestre, qui devait substantiellement booster le développement des activités de Congo Télécom, l’opérateur historique, représente une valeur négligeable de son patrimoine. Il ne lui reste plus alors que le réseau fibre optique aérien, qui représente l’essentiel de son chiffre d’affaires. Cette fibre optique aérienne, objet de la cession à Yao Corp, est une fibre de garde, propriété de l’État.
Les poteaux de l’ex Sne rebaptisée EEC en assurent juste le transport. Selon nos informations, Alcatel et Eni Congo se seraient occupés de son déploiement, avant que la DGGT( délégation générale aux grands travaux) en assure la gestion. Stratégiquement, l’exclusivité de la gestion de cette fibre de garde par Congo Télécom, du fait des perturbations du réseau terrestre bricolé par la chinoise Huwei dans le PCN, devrait être soutenue par le ministère des postes, télécommunications et de l’économie numérique. Il n’en est rien.
« La démarche du ministre est irréfléchie! D’entrée il tue son opérateur. Dans le même temps, je vois mal Yao Corp s’en sortir dans cet environnement, sauf si un gros opérateur, du calibre Orange, vient les soutenir. Ce qui est loin d’être fait!
Dans tous les cas, c’ est le Congo qui perd énormément. Parce que dans la sous-région d’Afrique centrale et au-delà, la stratégie est de rendre fort les opérateurs historiques(Cameroun, Rdc, Côte d’ivoire, Sénégal, Rwanda, Gabon…). D’où le passage au statut Ohada de ces opérateurs publics en SA(société anonyme) , avec l’État comme actionnaire le plus important », fait observer, sous couvert de l’anonymat, un important expert présent dans le secteur depuis 2007. Le pire est que l’on fait rentrer un autre acteur dans un marché wholesale de petite taille. Dramatique pour Congo Congo Télécom.
De l’avis des initiés interrogés, c’est une guerre de leadership du wholesale qui se joue, et surtout de la gestion du traffic international au moment où arrive la fibre Google et Facebook.
C’est donc un sujet sensible, et la RDC a le regard sur le Congo.
« Si on n’appuie pas Congo Télécom, le secteur peut prendre un terrible coup », alerte Yves Gra, expert ivoirien en télécoms.
Faut-il noter que l’enjeu ici c’est la sous-région? Le volume de capacité du Congo est encore trop faible pour supporter les charges opérationnelles d’un opérateur. Il faut donc relier les grandes villes et capter le trafic de transit.
Dans le cas du Congo, il est plus facile de transporter sur 510 km la capacité de Pointe-Noire (Wacs) à Kinshasa, que de faire plus de 1500 km entre Matadi et Kinshasa.
On pourrait donc, par conséquent, relier les câbles sous-marins via le Congo…
Il n’ y a que l’État pour le faire en mettant à contribution son opérateur historique. Yao Corp n’a pas les moyens d’un État, et ne dispose pas d’une signature internationale pour jouer ce rôle.
Tout compte fait, la construction du futur du Congo doit intégrer une stratégie du numérique animée par des experts. Dans les pays comme le Rwanda, Kenya , Sénégal, Côte d’ivoire…, le ministère de l’Économie numérique est confié à des cadres talentueux, branchés aux tic et à même d’intégrer les défis d’un secteur en perpétuelle évolution. Au Congo, ce ministère ne doit plus être animé par un apprenti en politique qui plus est analphabète en matière de télécommunications. Le risque est grand de voir n’importe qui lui vendre n’importe quoi et à n’importe quel prix.
Last but no least, pour un meilleur suivi de ses capitaux physiques, il est impérieux pour l’État congolais de créer une société nationale de patrimoine de ses infrastructures. Tout autant que l’urgence de construction d’un autre backbone financé par des partenaires multilatéraux et bilatéraux. Avant d’en arriver là, il faut repenser la politique en matière de télécommunications, avec comme acteur clé Congo Télécom. Sauf si l’État congolais veut tuer sa poule aux œufs d’or.