Affaire Orion Oil : ce que l’on sait de cette société congolaise soupçonnée d’être au centre d’un système de malversations

« Libération » publie une vaste enquête consacrée aux activités opaques du courtier congolais Lucien Ebata, qui a fait affaire avec Dominique Strauss-Kahn et a été en contact avec des proches de Manuel Valls.
A quoi sert vraiment Orion Oil ? C’est la question que pose Libération dans une vaste enquête publiée mercredi 11 et jeudi 12 janvier sur cette société de courtage congolaise suspectée d’être au centre d’un système de malversations. Et dont le patron, Lucien Ebata, a cultivé assidûment ses relations au plus haut niveau en France, notamment dans l’entourage de Manuel Valls et en faisant affaire avec Dominique Strauss-Kahn.
D’après le quotidien, Orion Oil a traité essentiellement, pendant une dizaine d’années, avec la Société nationale des pétroles congolais (SNPC). Le courtier aurait revendu l’hydrocarbure acquis auprès de la SNPC à des majors du secteur, comme le britannique Shell, en s’octroyant au passage une marge allant de 0,77 % à 8,62 %. Selon Libération, les enquêteurs du Service d’enquêtes judiciaires des finances (SEJF), rattaché à Bercy, s’interrogent sur l’« utilité concrète » d’Orion Oil, car les ventes de la SNPC à ce groupe et les reventes d’Orion Oil à ses clients ont lieu en même temps. Dans leur rapport de 2019 consulté par Libération, ils estiment que ces opérations s’apparentent à un « jeu de facturation » sans « justification économique ».
Autre manne pour Orion Oil, la revente à la SNPC de produits raffinés, avec des marges comprises entre 35 % et 61 %. Autant d’argent amassé « aux dépens de l’entreprise d’Etat », écrivent les douaniers.
Deux fructueuses perquisitions
D’après Libération, ces fonds ont alimenté une caisse noire à destination des officiels du Congo-Brazzaville. Un homme se trouve au centre des investigations : Lucien Ebata, 53 ans, le richissime président d’Orion Oil et familier des élites congolaises, dont le président Denis Sassou-Nguesso, au pouvoir depuis 1997. Sollicité par Libération, M. Ebata a fait répondre par son avocat, Antoine Vey, qu’il « dément fermement l’existence de quelconque “rétrocommission” ». Présumé innocent, il est mis en examen depuis l’automne 2021 pour blanchiment, manquement à l’obligation de déclaration de transfert de capitaux et corruption active de personne dépositaire de l’autorité publique.
C’est en 2012 qu’il apparaît sur le radar du SEJF : le 24 janvier, à l’aéroport de Roissy, il est interpellé en partance pour Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo (RDC), porteur de 182 000 euros et 40 000 dollars en liquide. Les enquêteurs le surveillent jusqu’à conduire deux fructueuses perquisitions en mai 2017, la première à son domicile parisien, la seconde à celui du directeur financier d’Orion Oil, à Clichy (Hauts-de-Seine). Lire aussi : Un hôtel particulier d’un fils du président congolais Denis Sassou-Nguesso saisi en France
Chez ce dernier, les limiers trouvent une montagne de cash, mais surtout une tablette numérique et un agenda. L’iPad recèle un tableau comptable compilant des dépenses en regard d’une « liste de possibles bénéficiaires, issus notamment des deux Congo : ministres, diplomates, militaires, chefs d’entreprise », écrit Libération. Dans cette liste, les initiales « PR », associées à 17 millions d’euros de dépenses, pourraient correspondre à « président de la République », envisagent les enquêteurs, soit Denis Sassou-Nguesso.
M. Ebata n’a pas limité ses activités à la RDC. D’après les enquêteurs, des conversations de 2016 entre lui et son épouse, écoutées et enregistrées par les douanes judiciaires, montrent qu’il comptait financer la campagne de Manuel Valls à la primaire socialiste en vue de l’élection présidentielle. « C’est de moi que proviendront les fonds pour gagner », déclare-t-il dans l’un de ces appels.
D’après lui, des « personnes » de l’entourage de M. Valls, alors premier ministre, l’auraient approché. Libération souligne qu’aucun élément du dossier judiciaire ne laisse penser, à ce stade, que des fonds ont effectivement été mobilisés au bénéfice de M. Valls. « Déclarations fantaisistes », a commenté celui-ci auprès du journal.
Selon l’agenda de M. Ebata, le magnat a eu rendez-vous, peu avant ces écoutes, avec Stéphane Fouks, vice-président du groupe Havas, communicant influent et intime de Manuel Valls. « Je n’ai jamais (…) sollicité M. Ebata pour la campagne de Manuel Valls », a assuré M. Fouks à Libération, ajoutant que ses échanges épisodiques avec M. Ebata avaient trait à de tout autres dossiers.
Hôtel de luxe
Au demeurant, l’enquête de Libération insiste sur le développement par M. Valls de ses relations avec le Congo-Brazzaville. Notamment par un homme de confiance, Ibrahima Diawadoh N’Jim, chargé de mission à Matignon, qui a reconnu auprès du journal avoir été en contact plusieurs fois avec M. Ebata, sans que ces échanges aient de suites et sans rencontrer l’intéressé en personne.
Manuel Valls, quant à lui, a vu Denis Sassou-Nguesso en juillet 2015 hors du cadre officiel, dans l’hôtel de luxe parisien où séjournait le président congolais. A l’époque, l’autocrate cherche des appuis alors qu’il organise un référendum pour conforter son pouvoir. « Le premier ministre rencontre régulièrement des dirigeants de différents pays », a sobrement réagi M. Valls auprès de Libération.
Selon le journal, Stéphane Fouks a mis M. Ebata en contact avec une autre figure socialiste : Dominique Strauss-Kahn (DSK). En 2018, raconte Libération, l’influent Congolais cherche à obtenir du Fonds monétaire international (FMI) un prêt pour Brazzaville, alors en grande difficulté financière, et veut s’appuyer sur la connaissance fine de l’institution par DSK, qui l’a dirigée de 2007 à 2011. D’après le journal, les deux hommes se sont vus à Marrakech, au Maroc, en juillet 2017, point de départ d’une collaboration de « plusieurs mois ». Relire notre enquête : Article réservé à nos abonnés « Pandora Papers » : du Maroc au golfe Persique, la bonne fortune de DSK dans le conseil aux gouvernements
Les enquêteurs de Tracfin ont retrouvé la trace d’un paiement de 800 000 euros adressé par Orion Oil à Archimède, une société appartenant à Philippe Valachs, un proche de DSK. Or, « les investigations montrent que Parnasse [la société de conseil de DSK] et Archimède ont l’habitude de procéder à des virements mutuels réguliers », écrit Libération. Les deux hommes n’ont pas répondu au journal.
Un autre haut personnage de l’Etat apparaît dans l’enquête de Libération. Il s’agit de Cédric Lewandowski (qui n’a pas non plus fait de commentaire), vice-président d’EDF et ancien directeur de cabinet du socialiste Jean-Yves Le Drian au ministère de la défense. D’autres écoutes entre M. Ebata et son épouse laissent penser que le puissant responsable est intervenu en 2016 pour faire supprimer les deux fiches S dont le Congolais faisait l’objet depuis 2013 et 2014. Elles avaient été émises par la Direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP) et par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), qui voyaient en lui un « affairiste susceptible de se livrer à des activités financières frauduleuses ». Roi du pétrole, Lucien Ebata semble être aussi un prince de l’entregent.