Conflit en Ukraine : de la nécessité de savoir déchiffrer les discours et propos des dirigeants occidentaux

De passage à Tokyo (Japon) où elle s’est entretenue avec le Premier ministre japonais Fumio Kishida, ce jeudi 12 mai 2022, la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, a tenu des propos qui en disent long sur le bouleversement géopolitique auquel l’on assiste depuis le déclenchement de l’opération militaire russe en Ukraine.
Lors de la conférence de presse avec le chef du gouvernement japonais, madame Von der Leyen a déclaré que « la Russie constitue aujourd’hui la menace la plus directe pour l’ordre mondial, avec la terrible guerre menée contre l’Ukraine et son inquiétant pacte avec la Chine assorti d’un appel en faveur de relations internationales “nouvelles” — et très arbitraires. » Elle a ajouté : « Le Japon fait partie du noyau dur des pays qui ont imposé des sanctions lourdes à la Russie. À l’instar de l’Union européenne, le Japon comprend ce qui se joue ici. Il ne s’agit pas seulement de l’avenir de l’Ukraine.
De l’avenir de l’Europe. Mais de l’avenir d’un ordre mondial fondé sur des règles. »Ceux qui s’obstinent à penser que ce qui se joue en Ukraine est une affaire de « méchants russes » contre de «gentils ukrainiens» devraient méditer sur les propos de Ursula Von der Leyen. En diplomatie, le diable se cache souvent dans les subtilités lexicales. Quand Madame Von der Leyen déclare que ce qui se joue en Ukraine dépasse le cadre ukrainien et européen et engage l’avenir même « d’un ordre mondial fondé sur des règles », elle veut tout simplement dire que l’intervention de la Russie en Ukraine constitue une menace contre un ordre international dominé par l’Occident. C’est la remise en question de cet ordre, qui n’a d’« international » que le nom, qui inquiète les capitales de l’arrogance.
J’insiste : en politique internationale comme en diplomatie, les discours et les propos brillent souvent par l’abondance des formules en apparence limpides, mais dont l’ambiguïté sémantique ne trompe pas les esprits avertis. N’a-t-on pas souvent entendu l’Occident parler de lui-même en se définissant comme la « communauté internationale », croyant ainsi représenter le monde entier ?Quand Ursula Von der Leyen parle de l’ordre international, elle pense avant tout au système international imposé au reste de l’humanité par l’Occident au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
Quand elle parle de l’« inquiétant pacte avec la Chine assorti d’un appel en faveur de relations internationales “nouvelles” — et très arbitraires », elle fait allusion à l’alliance sino-russe qui milite ouvertement pour un monde multipolaire. Le genre de monde qu’elle juge « arbitraire » parce que l’Occident, dans cet univers international nouveau, ne dictera plus ses règles au reste de la planète sans se heurter à d’autres hégémons.
En écoutant le discours de Ursula Von der Leyen au Japon, je me suis posé quelques questions : les dirigeants africains sont-ils conscients de ce qui se joue en Ukraine ? Sont-ils conscients des retombées que le conflit ukrainien pourrait avoir sur les pays du continent jugés stratégiques par l’Occident en raison de leurs ressources naturelles (pétrole, gaz, minerais stratégiques, etc.) ? Les dirigeants africains sont habitués à écouter ce qui se dit ailleurs sans nécessairement en mesurer la portée. Espérons qu’ils ne nous surprendront pas par leur inconscience légendaire.
Pour le reste, un petit conseil pour finir : en temps de grande crise internationale comme celle à laquelle l’on assiste aujourd’hui, il ne faut pas seulement se contenter des discours que servent les dirigeants politiques. Il faut prêter beaucoup plus attention aux non-dits de ce qui est dit. C’est dans les silences des propos tenus que se cache souvent la pensée du malin.
Patrick Mbeko