Le groupe Wagner pourrait s’installer au Congo

« L’entrevue a duré un peu plus de deux heures. Ce lundi 25 juillet, pour la deuxième étape de sa tournée africaine, le ministre russe des affaires étrangères Sergueï Lavrov s’apprête à quitter Oyo, fief du président congolais Denis Sassou Nguesso (DSN), satisfait. Il est raccompagné par son homologue, le très russophile Jean-Claude Gakosso, qui avait pourtant été mis à l’écart de l’organisation de la visite, principalement confiée à la conseillère spéciale de « DSN » pour les dossiers internationaux et tout particulièrement russes, la Franco-Rwandaise Françoise Joly (AI du 07/06/22). Celle-ci fait partie, aux côtés du petit-fils du chef de l’Etat, Omar Denis Bongo Junior, de la poignée d’intimes étroitement associés à l’escapade congolaise du chef de la diplomatie russe.
Pour cette venue, « Sassou » a pris le soin d’une discrétion extrême : tous les téléphones ont été coupés, les accès à la salle d’audience ont été réduits plus qu’à l’ordinaire et une partie de ceux qui composent le premier cercle du président congolais – pourtant habitués de ces rencontres de haut niveau – sont soigneusement maintenus à bonne distance.
Dans le huis clos, Lavrov et Sassou Nguesso échangent sur la crise ukrainienne, sur l’approvisionnement en blé du continent africain, ou encore sur le dossier libyen dont le président congolais est le haut représentant pour l’Union africaine. Mais très vite, un autre sujet s’invite dans les discussions : l’accès au port de Pointe-Noire au bénéfice d’éléments russes. Si les officiels moscovites se défendent d’entretenir le moindre lien avec Wagner, la doléance formulée par le ministre russe concerne très directement la société paramilitaire russe. Une requête à laquelle aurait consenti au moins oralement le maître de Brazzaville.
La vitale course aux pays côtiers
Wagner, qui opère déjà massivement en République centrafricaine voisine, est confronté à l’enclavement du pays, donnant lieu à un véritable casse-tête logistique et financier pour importer ses équipements et écouler une partie de ses ressources. En 2021, lors de sa montée en puissance militaire face aux groupes armés centrafricains, la société avait d’ailleurs été contrainte de mettre en place un coûteux pont aérien. Une opération aujourd’hui complexe à reproduire alors que Moscou est engagée en Ukraine (AI du 24/12/20).
Depuis plusieurs années, Wagner lorgne les pays côtiers d’Afrique centrale, aux avantages géostratégiques bien plus attrayants que le Mali et la RCA. L’accès négocié à Pointe-Noire est donc un premier pion avancé dans ce sens bien que les véritables desseins de la nébuleuse dans le pays restent à ce jour très flous. Actuellement, pour opérer en RCA, les Russes passent par Port-Soudan à l’est, ou bien, comme l’a détaillé Jeune Afrique, via le port de Douala à l’ouest, très étroitement surveillé par la société israélienne de sécurité Portsec.
Câlinothérapie américaine et vigilance française
Ces contacts entre Brazzaville et Moscou ne sont pas passés inaperçus. Washington prend très au sérieux le spectre d’une arrivée de Wagner sur les côtes de l’Atlantique. Une dizaine de jours après la visite de Lavrov à Oyo, le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken a même un temps hésité à traverser le fleuve Congo pour aller rencontrer en personne Denis Sassou Nguesso, en marge de sa tournée en RDC, en Afrique du Sud et au Rwanda. Symbole de l’inquiétude américaine, ce crochet à Brazzaville aurait revêtu une allure quasi-historique : aucun secrétaire d’Etat américain ne s’est rendu au Congo depuis plus de vingt ans. Les services américains scrutent déjà de près l’activisme russe en RDC voisine.
Blinken y a finalement renoncé. Mais il a tout de même discuté avec Sassou Nguesso par téléphone depuis Kinshasa le 10 août. Au cours de cet échange médiatisé par les deux parties, le chef de la diplomatie américaine a habilement poussé le Congo à poursuivre son initiative libyenne, à laquelle le président congolais tient particulièrement.
L’éventuelle arrivée de Wagner au port de Pointe-Noire est également observée de près par Paris : la coopération sécuritaire entre les deux pays est solide et ancienne. Les services de renseignement français entretiennent des contacts réguliers avec le puissant patron du conseil de sécurité nationale, le général Jean-Dominique Okemba, ainsi qu’avec le directeur général de la surveillance du territoire (DGST), le général Philippe Obara.
Coopération traditionnelle russe
Denis Sassou Nguesso cultive de très longue date une diplomatie d’équilibriste ente Moscou et l’ancienne puissance coloniale. Dès son ascension au pouvoir, il avait adhéré à l’idéologie « marxiste » du régime, tout en cultivant une relation étroite avec plusieurs barons de la politique française. Parmi les dirigeants de l’ancien unique Parti congolais du travail (PCT), plusieurs ont étudié à Moscou et sont russophones, à l’instar du président de l’Assemblée nationale, Isidore Mvouba. Un pan de l’appareil sécuritaire congolais est également « russophile », comme l’actuel ministre de la défense et ex-chef d’état-major de l’armée Charles Richard Mondjo, formé à l’Académie des troupes blindées Malinovski de Moscou. Et aujourd’hui encore, l’armée congolaise reste friande des équipements militaires russes (AI du 27/08/21).
A Brazzaville, Moscou dispose par ailleurs depuis les années 1980 d’un Centre culturel russe, devenu « Maison russe » en 2021. Situé à deux pas de l’ambassade de France, celui-ci a été l’un des rares centres russes à rester actif en Afrique après le retrait diplomatique des années 1990. Il joue encore un important rôle d’instrument d’influence dans le pays, en dispensant des cours de russe.
Surtout, en bon tacticien, « DSN » joue depuis plusieurs années de la concurrence entre Moscou et Paris sur le continent. Alors que les relations avec la France se sont détériorées sur fond de procédure judiciaire dans le cadre du dossier des Biens mal acquis et que Washington se montre de plus en plus attentive sur les questions de corruption et de droits de l’homme, les dernières manœuvres de Sassou et l’agitation du spectre de Wagner pourraient ainsi constituer les marques d’un signal de plus envoyé à « l’Ouest ».
Antoine Rolland
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